Le Figaro – 15 Mai 2020
Après une baisse conséquente du nombre de patients pendant le confinement, hôpitaux et services psychiatriques s’inquiètent pour leur état de santé. « On peut craindre une deuxième vague psychiatrique ». Dans les hôpitaux, les services de psychiatrie se préparent à un possible afflux de patients après le confinement. L’inquiétude se fait sentir, alors que le Covid-19 circule toujours. «La santé mentale , c’est la troisième priorité dans la crise, après le virus lui-même et l’économie», assure ainsi le Pr Nicolas Franck, psychiatre au Centre hospitalier Le Vinatier, à Lyon.
Vincent Laprévote, psychiatre au centre psychothérapique de Nancy et professeur de psychiatrie à l’université de Lorraine, partage ces craintes. «La grande peur avec le déconfinement , c’est d’avoir une vague d’urgences psychiatriques. Beaucoup d’hôpitaux se préparent». Car, contrairement à ce qu’il attendait, les patients ne se sont pas bousculés dans son hôpital psychiatrique pendant le confinement. C’est même le contraire. En une dizaine de jours, son centre a perdu «plus de 20% de ses patients», assure le médecin. «En France, la très grande majorité des patients sont hospitalisés sur le mode de soins libres, ils peuvent donc demander leur sortie quand ils en ont envie».
Le constat est le même dans tous les établissements contactés. À Quimper, l’hôpital psychiatrique Etienne-Gourmelen disposait même de lits disponibles durant la pandémie, ce qui n’arrive que «très rarement», selon Yann Dubois, son directeur. «Nous avons constaté une diminution des hospitalisations de patients». Plus étonnant, les urgences psychiatriques aussi ont été délaissées. Michel Lejoyeux pilote le service d’accueil et d’urgence psychiatrique de l’hôpital Bichat, à Paris. Il a constaté «une diminution drastique du nombre de venues» au plus fort de l’épidémie. «Les patients n’étaient pas rassurés de venir à l’hôpital, et donc, comme pour les services de cardiologie ou de neurologie, ils sont moins venus», souligne le professeur de psychiatrie et d’addictologie à la Faculté Paris-Diderot.
« Ne pas rompre le lien social »
Or, les effets du confinement, de la crise sanitaire et les angoisses liées au virus lui-même, font craindre aux psychiatres un retour de bâton. À sa manière, chaque hôpital, chaque service, s’est adapté afin de respecter la distanciation sociale et les gestes barrières. La plupart ont eu massivement recours à la téléconsultation pour accompagner leurs patients durant cette délicate période. «Nous avons suspendu les groupes thérapeutiques et les consultations physiques non urgentes, raconte Nicolas Franck. Nous avons augmenté notre activité sous forme de téléconsultation, et rappelé nos patients pour voir si tout allait bien.»
Certains services ont toutefois connu plus de difficultés. À l’Hôtel-Dieu à Paris, par exemple, la mise en place de la téléconsultation ne fut pas simple. «On a dû switcher du jour au lendemain, on n’était pas équipés, détaille Matthieu Gasnier, psychiatre. Et puis, ça modifie aussi la qualité de certaines consultations, la communication non verbale est très importante en psychiatrie.» Sans oublier que certains patients ne sont pas toujours facilement joignables. «Les patients en situation de précarité peuvent être difficilement joignables, certains sont victimes de la fracture numérique. Il m’est arrivé de ne pas pouvoir envoyer une ordonnance par mail à un patient car il n’avait pas d’adresse», déplore le praticien hospitalier.
Il faut alors s’attendre à ce que certains patients souffrant de troubles psychiques aient interrompu leur traitement ou qu’ils ne l’aient pas pris correctement. «La schizophrénie, les troubles bipolaires ou autre maladies mentales nécessitent des consultations régulières. L’interruption du traitement peut faire que, dans plusieurs semaines, les gens vont aller moins bien et vont décompenser», prévient Matthieu Gasnier.
De nouveaux patients
Sans compter que le confinement lui-même a pu affecter les malades souffrant de troubles mentaux. Marie Rose Moro est cheffe de service de la Maison de Solenn au sein de l’hôpital Cochin, qui prend en charge des jeunes de 11 à 18 ans. «Au début, nous avions le sentiment que les adolescents supportaient bien la situation, témoigne la psychiatre. Notamment chez les ados qui souffrent de phobie sociale, ils nous disaient: “Vous voyez, maintenant tout le monde est confiné comme nous!”» Au fur et à mesure des semaines, la situation s’est toutefois compliquée : «Progressivement nous avons vu apparaître des choses plus difficiles, comme des maltraitances, des violences conjugales. On a parfois dû hospitaliser des adolescents qui ont pu craquer».
Certains psychiatres s’attendent d’ailleurs à recevoir de nouveaux patients, si ce n’est pas déjà le cas. «Nous avons eu des patients que nous ne connaissions pas jusqu’à présent, remarque Yann Dubois. Certains ont été déstabilisés par l’angoisse collective, ils ont dû faire face à des situations de solitude, des tensions familiales, ou ont connu un sentiment de panique face à la maladie». Même constat du côté de Vincent Laprévote. «Nous avons eu des personnes que nous n’avions jamais vues. Mais le confinement n’est pas la seule raison. L’enfermement et la question de l’épidémie ont pu agir comme un facteur de stress supplémentaire.» Parmi ces nouveaux cas, certains ont eu des «urgences psychiatriques», «des tentatives de suicide même parfois». «Nous avons eu un retour des tentatives de suicides des adolescents», ajoute pour sa part Marie Rose Moro.
Manque de moyens
Si pour l’heure, rien ne permet de mesurer les tentatives de suicide ou les pensées suicidaires, les plateformes d’écoute ont vu le nombre d’appels exploser. Dans un communiqué, l’association SOS Amitié, assure devoir faire face à «une augmentation importante du nombre d’appels», plus de 7000 par jours, soit environ 30% de plus qu’habituellement. L’association Suicide Ecoute, qui met en place une accueil téléphonique 24h/24 et 7 jours sur 7 au 01 45 39 40 00, a également fonctionné à plein régime pendant le confinement, et encore aujourd’hui. «Parmi nos appelants, nous avons beaucoup de personnes souffrant de troubles psychiques, détaille Pascale Dupas présidente de l’association. Même si c’est anonyme, on reconnaît certaines personnes et on sait qu’elles nous appellent régulièrement. Mais pendant le confinement, nous avons également eu des appels de gens que nous ne connaissions pas».
Un père de famille qui «pète les plombs» et qui s’est rendu de lui-même aux urgences, par exemple. Ou encore un père célibataire qui doit gérer les tendances suicidaires de l’un de ses enfants. «Les gens ont beaucoup pensé qu’ils étaient enfermés et qu’ils ne pouvaient rien faire, complète Pascale Dupas. Parfois, il m’est arrivé de rappeler que les urgences psychiatriques étaient ouvertes. Je pense que nos lignes ont pu aider certaines personnes à retrouver le chemin habituel quand c’était possible.»
Autant d’éléments qui font craindre aux hôpitaux un afflux de patients, anciens ou nouveaux. Un regain d’activité déjà constaté par Emmanuelle Corruble, cheffe du service de psychiatrie au CHU de Bicêtre : «Nous ne sommes pas encore revenus au niveau de consultation d’avant l’épidémie, mais ça monte fort». La psychiatre attend désormais plus de moyens pour travailler. «Les recommandations du ministère sont de rouvrir les unités de psychiatrie, d’ouvrir plus de places en consultations… Je suis tout à fait d’accord, mais pour cela il faut du monde. Nous avons besoin de lits, de structures adaptées pour les malades.» Pour Emmanuelle Corruble, il s’agit là d’un «véritable enjeu de l’après crise coronavirus».